MON
PERE, LHAJ AHMED BEN MOHAMMED (RAHIMAHOU ALLAH: (15.3.1921/22.4.1995)
Mon père était assez
grand de taille et de corpulence.Blanc de peau, il avait les traits fins et le
teint assez clair.Bref, il était beau dans sa jeunesse, et avait gardé sa physionomie
régulière, jusqu’à un age avancé.Depuis sa prime jeunesse, Il portait des
lunettes de correction avec une monture noire, et cela lui donnait l’air d’un jeune intellectuel européen, vu qu’il
portait souvent des vêtements de type occidental. Il avait aussi des relations
amicales parmi la population française de l’époque.Son père,lhaj
Mohammed,(Rahmatou allahi alayh) un
riche commerçant de la
place,l’avait inscrit,après le passage
obligé de l’école coranique, et dés la
fin du cycle primaire, dans une école française d’enseignement technique (Ecole
Camille Mathieu).Mais une fois son diplôme de plomberie en poche,il se
désintéressa carrément de cette branche, et il faut dire qu’il n’aimait pas la
plomberie puisqu’il ne l’avait jamais pratiquée !Mon grand père avait
décidé de marier son unique fils,dés la vingtaine,avec une de ses cousines du
bled,peut-être pour mettre un terme à certaines de ses « escapades »,et
combler le tempérament chaud et viril que devait posséder tout jeune homme à
cet âge….Les familles marocaines de l’époque étaient fort conservatrices et
très pieuses.Les jeunes gens,selon les recommandations de notre prophète(sldsl),devaient
être mariés,dés leur age adulte,pour éviter toute tentation satanique. C’était
une initiative louable et raisonnable .Malheureusement, cette sage
coutume a presque disparu de nos jours, car notre jeunesse aspire plutôt pour
un mode de vie occidental, voire liberal…….
Mon père se
maria donc dans sa jeunesse, par obligation familiale et religieuse, (pour ne pas
dire contre son gré), mais vu son tempérament assez fougueux, ce mariage ne
dura guerre.Le divorce fut prononcé, à la va-vite, comme fut consommé le
mariage, mais avec un résultat concrétisé par la naissance d’un garçon,
prénommé Driss….Mon père ne tarda pas à se remarier avec ma mère.En effet,de
par ses fréquents déplacements,pour ses besoins de commerce en tissu ,il avait
un fournisseur à Fès,(Benmoussa)avec qui il s’était lié,et qui avait une jeune
cousine.Mon père avait remarqué cette très jeune fille,et l’avait demandé en
mariage,à son tuteur,vu qu’elle était orpheline de père.Et c’était ainsi que
mon père connut ma mère,et se maria avec elle ,dans les règles de la
tradition musulmane.
Mes parents s’installèrent à Casablanca,chez
ma grand-mère paternelle,(Que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde).Une femme
coriace,bavarde,mais certainement bonne et sensible.Je naquis un seize
février,dans cette vieille maison de la medina, ou je passais la première année
de ma vie,et ou j’ai eu mon premier accident grave et stupide…Ma mère m’a
raconté qu’elle était en train de préparer à manger,et qu’étant encore jeune et
donc inexpérimentée,ne pouvait faire deux choses à la fois :garder le bébé
turbulent et criard que j’étais,et faire frire le poisson dans le poéle.Et
c’est ainsi qu’en voulant monter quelques marches de l’escalier, je perdis l’équilibre,
et je basculai sur mon coté droit,la tête en plein poele-à-frire !Je dus certainement avoir
senti une souffrance atroce,à cause de la brûlure profonde….J’avais à peine un
an,je n étais qu’une chose fragile et innocente.Une bonne partie du cuir
chevelu avait disparu de mon crâne,et j’en porte encore aujourd’hui,les
séquelles de cet accident inavouable et très prématuré ….
Mon père exerça
divers petits métiers pour combler son inactivité, et subvenir aux besoins de
la vie.Son père avait disparu, laissant une certaine fortune, en maisons et
boutiques. Mon père se trouva responsable, et appelé à gérer ces biens légués.
Malheureusement, étant fils unique et certainement gâté,il ne tarda pas à
dilapider son lot d’héritage,et fut obligé de chercher des petits boulots pour
survivre .Je fus, à l’âge de trois ans, « confié » aux bons
soins de ma grand-mère maternelle,Zhor, une femme pauvre,mais qui tenait à
gagner sa vie,honnêtement,à la sueur de son front.Elle avait une machine à
coudre qu’elle mettait au service des braves gens,de passage à la kissaria de
la médina,à derb soltane.Je me rappelle qu’elle me gardait toujours un sandwich
dans ses juppons,et qu à la sortie de l’école,je me hâtai de la rejoindre,pour
le déguster,et pour jouer au ballon en
chiffons avec les gosses de la ruelle.Mon père emmena avec lui sa jeune
femme,ma mère,pour une longue tournée dans d’autres endroits,en vue de faire du
commerce et du tourisme !Je n’étais pour eux qu’un fardeau encombrant,et
peut-être gênant,malgré la petitesse de mon corps,puisque je fus « laissé»
à la bienveillance de ma grand-mère maternelle.Elle était une femme tendre et
très affectueuse,et donc apte à élever des bambins et les protéger.Pour
moi,elle fut une vraie mère,sur laquelle j’ouvris mes yeux d’enfant innocent et
assoiffé d’amour et d’affection…..Mais cette « adoption »avait
contribué à créer une certaine fissure, une séparation affective avec ma mère
génetrice,et fut à l’origine d’un manque de communication et d’un défaut
d’adaptation,ayant engendré par la suite une série de rapports tantôt
conflictuels,tantôt pathétiques,mais toujours empreints d’un fort goût d’amertume
et de regrets….
Ayant terminé leur
circuit touristique et commercial, mes parents reprirent leur unique rejeton, ayant
certainement réalisé leur bavure ! Mon père s’installa comme écrivain
public à Kenitra, (ex-port Lyautey) ville portuaire et encore sous occupation
française et américaine.C’était en 1953.Nous habitions une assez jolie maison,
à la Medina. Mon demi-frère, Driss, vivait avec nous. Ma mère, étant bonne
oratrice en langue arabe, s’évertua à faire apprendre des leçons
d’alphabet et quelques versets
coraniques, aux bonnes femmes, voisines du quartier. Notre séjour fut
agréable,et mon père gagnait assez largement sa vie et la notre.Il s’était fait
des amis intimes,dont il avait gardé le contact durant de longues et nombreuses
années, malgré la séparation...Des amis avec qui,il partageait ses loisirs,et
quelques cuites carabinées .C’était le temps de la passion et de l’argent
facile,mais c’était ce que la vie offrait pour les gens actifs de l’époque….
Nous vivions à
l’aise.Je suivais des cours à la prestigieuse école de l’époque de
Takadoum qui existe toujours .Je fus même,un jour,consacré « petite
idole » par les autorités de la ville ,et très acclamé par une immense
foule ,enchantée par mon discours,à l’occasion de l’indépendance du
Maroc !Malheureusement,pour une sombre affaire dont j’ignorais les tenants
et les aboutissants,nous dûmes quitter Kenitra,pour vivre quelques temps à Sidi
slimane,ville agricole,située à 60km,avant de nous installer pour longtemps dans
un joli patelin en plein
Moyen-Atlas :Azrou.
Mon père ne pouvait
qu’exercer l’unique métier ou il excellait :écrivain public.Il installa
son bureau dans une boutique de l’unique
grande place de la petite ville,qui servait aussi de souk hebdomadaire.Il
rédigeait et supervisait toutes les transactions commerciales,et autres contrats
de ventes,d’achats,d’hypothèques dans le domaine de l’immobilier,ou encore des
conventions sur les exploitations forestières,ressources naturelles dont
jouissait Azrou,autrefois.Il établissait aussi toutes les demandes
d’autorisation pour l’ouverture d’un commerce,d’un permis de port d’armes(pour
la chasse),ou d’une exploitation agricole.Il écrivait aussi les lettres à
envoyer aux tiers,les plaintes à formuler au Caïd,ou remplissait les imprimés
d’usage servant aux expéditions postales.Mon père était le premier vrai
écrivain public d’Azrou,et cela le rendait fort utile et assez respectable dans
l’entourage azrioui et parmi les notables de cette grande localité.
Il avait ses sautes
d’humeur, méchantes mais brèves et passagères.Il était sensible, beau parleur,
doublé d’un narrateur émérite….Il avait le sens de l’humour aigu, et il aimait
la bonne cuisine. Il s’évertuait
souvent, à nous préparer quelques plats délicieux et forts prisés, comme la
bissara ou un tajine de kriine ! Il était assez bon vivant, mais aussi un homme
de foi, qui n’oubliait pas ses devoirs religieux de Musulman…
Il n’hésitait pas à
m’infliger des corrections corporelles, quand je les méritais, et je dirai
qu’elles étaient certainement à bon escient, et avaient un effet curatif !
Parfois, mon père se montrait carrément agressif envers les autres, mais jamais
de façon gratuite.Il était franc dans son comportement, et manifestait
clairement ce qu’il avait sur le cœur, sans hypocrisie ni détour, et alors,
advienne que pourra !
Un jour, sa conduite
spontanée et directe, face à un caïd despote, lui valut quelques jours à
l’ombre.
L’injustice dont il
était victime le marqua profondément,et me chagrina beaucoup.Depuis ce moment,
j’approuve une répulsion instinctive envers ces agents d’autorité,souvent pervers
et débauchés, et qui se font heureusement rares de nos jours, par la force des
choses……En période de crise financiere,mon père souffrait en silence,et cette souffrance marquait ses traits fins,alourdis
par la griffe inexorable du temps.Il ne manifestait jamais ses déboires ou ses
faiblesses devant moi,mais donnait libre cours à ses pensées et à son
imagination rendue fertile par la boisson de Bacchus !Au lendemain de ses
soirées prolongées,il se trouvait pris de remords,et d’une mauvaise humeur
incompréhensible.Il partait alors se « purifier » au bain maure,et
terminait la journée à la maison,entre les séances de prière,la lecture des journaux de l’époque,et
la dégustation de quelques mets savamment mijotés.Je me souviens que quand il
sentait une douleur quelque part sur son corps,il me demandait de mettre ma
main droite sur la partie endolorie,et de réciter un verset coranique,de
préférence :sourate « Essamad » qu’il adorait particuliérement.La
douleur disparaissait ,par miracle divin,instantanément…Ma mère s’accommodait
tant bien que mal à ces retournements d’ambiance et d’attitude,……L’essentiel,était
que mon père pourvoyait à nos besoins élémentaires et savait se montrer affable
.Il était l’homme, le chef de famille,le responsable.Et donc,il avait le droit
de se défouler et jouir des plaisirs qu’offrait la vie,comme et quand il le
voulait…..Ma mère ne pouvait que prier le bon Dieu pour qu’il cesse, un jour,
de se donner à la boisson interdite.Pour moi,il incarnait l’image du père
craint et admiré à la fois…..
Des années passèrent,
dans une monotonie ennuyeuse et tranquille.Le premier décès de la famille
arriva, frappant notre unique petit ange de l’époque : Nadia.Elle était
tellement adorable, que je supportais allégrement de la porter sur mon dos, en
vue de la dorloter et la faire dormir ! C’était une idée de ma mère, et
j’étais le seul enfant aîné, un peu le garçon-fille à tout faire, le
souffre-douleur familial, en quelque sorte, mais tout de même aimé, malgré
certains petits conflits pathétiques…..
Je me souviens avec
fierté, que mon premier cachet de l’armée, tomba à point, et servit à l’achat
du mouton de l’aïd el kebir de l’année 1967.Mon père traversait une crise
notoire à cette époque, et ne pouvait supporter une telle dépense.Ce fut donc,
avec joie et plaisir, que
Je participais, pour
la première fois, à une aide consistante envers mes parents.Grace à Dieu, cette
aide qu’ils méritaient, allait durer trente cinq ans, et se prolonger jusqu’aux
décès de mon père en 1995, et de ma mère en 2005……
Malgré ses fréquentes
sautes d’humeur,mon père m’aimait et m’estimait.Il prenait souvent plaisir à
discuter avec moi, de divers problèmes d’ordre familial ou social.Le jour ou il
avait décidé de donner la main de notre sœur aînée,il m’expliqua que le
prétendant était un beau parti,de famille noble et aisée.Ma sœur n’aspirait pas
particulièrement au mariage, car elle avait seize ans et désirait continuer ses
études. Ce mariage eut lieu, et dure encore de nos jours, à la grâce divine……
Mon père mourut en
Avril 1995 dans la maison familiale à Casablanca, suite à une maladie
pulmonaire, ayant causé un arrêt respiratoire et cardiaque.Avant de mourir, mon
père m’avait demandé « pardon », et la lecture en sa mémoire, à
chaque vendredi que Dieu fait, onze ou douze fois « sourate al-ikhlasse ».Qu’il
repose en paix, son vœu sera exaucé, tant que que je vivrai…. Fasses dieu lui
pardonner ses errements, et le maintenir en sa sainte miséricorde…AMEN